A la recherche d’un autre modèle de soin L’expérience des centres de santé de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille - Entretien avec François Crémieux et Johanne Menu

Voici le récit d'une initiative unique en France portée par la direction d'un Centre Hospitalier Universitaire. Dans ce long entretien conduit par Fabienne Orsi, François Crémieux et Johanne Menu retracent avec détails leur engagement pour le déploiement de centres de santé "hors les murs" de l'hôpital pour lutter contre les déserts médicaux. Ce faisant ils nous livrent une vision renouvelée du service public hospitalier qui s'étend et s'invente.

Introduction

Par Fabienne Orsi

François Crémieux est directeur général de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Johanne Menu était, jusqu'à récemment, directrice adjointe à l'hôpital Nord et directrice des centres de santé de l'AP-HM . Cet entretien a été conduit dans la perspective de nourrir une recherche en cours sur les voies possibles permettant de repenser la notion de soin ainsi que celle de modèle de soin . Il est clair désormais que le système de santé français est à un tournant. L'accès aux professionnels de santé se dégrade, les déserts médicaux se multiplient, le soin psychique connaît une crise sans précédent, les hôpitaux publics doivent notamment faire face à des niveaux d'endettement historiques. Les jeunes professionnels sont de moins en moins enclins à travailler dans des conditions de travail dégradées. Il s'agit par ailleurs de répondre à l'explosion des maladies chroniques (obésité, maladies cardiovasculaires, cancers, diabète...) liée en partie au vieillissement de la population, mais également aux activités de l'agro-industrie et de l'industrie chimique (produits alimentaires ultra-transformés, polluants éternels, pesticides, microplastiques, etc.), dont les impacts sur l'environnement et sur la santé humaine ne cessent de se confirmer .Les réponses des gouvernements successifs s'avèrent rarement à la hauteur de l'enjeu tant les impasses et les controverses sont nombreuses comme en atteste la teneur des débats récents autour du projet de loi Garot proposant de réguler une partie de l'installation médicale ou encore de la Loi Duplomb réintroduisant notamment l'usage des néonicotinoïdes, des pesticides toxiques interdits depuis 2018 .

Bien soigner impose, certes, un nombre suffisant de professionnels de santé partout sur le territoire. Toutefois, cela nécessite aussi de s'interroger sur ce que soigner veut dire aujourd'hui, sur la pratique du soin que l'on souhaite, sur les organisations et les modes de financement qui la portent et la façonnent. Soigner ne s'aurait être pensé sans s'inscrire dans un autre projet de société, sans envisager une autre façon d'habiter le monde. Çà et là, des initiatives se prennent et nous invitent à les suivre.

C'est dans cette perspective de soigner autrement que les centres de santé font aujourd'hui l'objet d'une attention particulière. Comme nous le verrons dans l'entretien, les centres de santé ne sont pas une idée neuve. Ils sont souvent situés comme les héritiers des dispensaires. En France, les premiers centres de santé ont été créés à l'initiative de quelques municipalités et de certains acteurs du mouvement mutualiste au moment du Front populaire et dans l'après Seconde Guerre mondiale . Certains de ces centres étaient porteurs d'un modèle alternatif de soin fondé sur les principes d'une médecine sociale inscrite dans une logique d'insertion dans la vie des quartiers avec un véritable projet de transformation sociale . Cependant, leur développement est resté relativement confidentiel, le modèle de soin français s'étant largement institué à partir d'une médecine de ville libérale au paiement à l'acte d'un côté et d'une activité hospitalière d'établissement de l'autre. Depuis plusieurs années cependant, les centres de santé en tant qu'entité juridique, reviennent sur le devant de la scène comme « structure de soins primaires de proximité » . Ces centres doivent répondre à certains principes dont l'accès inconditionnel, l'activité salariée, la pratique des tarifs dits de secteur 1, c'est-à-dire sans dépassement d'honoraires.  Néanmoins, tous les centres de santé ne s'inscrivent pas dans une logique de médecine sociale inspirée des premiers centres de santé ou d'une logique de santé dite « communautaire »

Seul un petit nombre de centres de santé s'inscrit dans cette dynamique . Ces centres sont à l'initiative la plupart du temps de collectifs désireux de changer leur pratique du soin, d'aller vers et faire avec les habitants du quartier, dans une démarche non exclusivement curative et médicale, mais également sociale fondée sur la prévention et la prise en compte de facteurs écologiques, sociaux et économiques avec la volonté également d'être financés autrement que par le paiement à l'acte. Hormis ces quelques centres de santé communautaire , la plupart des centres de santé ont une activité somme toute classique. Et, si leur gestion est principalement associative, les centres de santé font désormais l'objet d'un investissement croissant de la part de groupes privés lucratifs tel que le groupe Ramsay Santé dont il sera également question dans l'entretien. Bien que les hôpitaux publics soient légalement autorisés à créer et gérer des centres de santé depuis plusieurs années, cette pratique ne s'est jusqu'ici jamais développée.    

Voici donc le témoignage de cette initiative portée par la direction de l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille.  Nous verrons comment l'hôpital sort de ses murs pour déployer des centres de santé pluriprofessionnels là où, dans certains quartiers populaires de Marseille, la santé des habitants est laissée à l'abandon et où le privé lucratif « low cost » s'infiltre. Le service public hospitalier se transforme, devient « médecin traitant », pratique une médecine sociale ancrée dans son quartier et se veut fer de lance d'un maillage entre les différents acteurs et habitants du territoire.  Une expérience unique, qui pourrait peut-être essaimer ailleurs .

                                                                                                      

Sur les traces des centres de santé de la mutualité des travailleurs des Bouches du Rhône

Fabienne Orsi : Commençons par une présentation un peu globale des centres de santé, les différents types de centres qui existent actuellement en France, les lois ou les cadres réglementaires auxquels ils sont soumis.  

Johanne Menu : Il existe plusieurs types de centres de santé en fonction de l'offre de soins proposée : des centres dentaires, des centres ophtalmologie, d'imagerie et des centres pluridisciplinaires, comme les nôtres.  Dans ce dernier cas, le cœur d'activité est le plus souvent de la médecine générale et d'autres spécialités médicales, et désormais avec très souvent une autre activité complémentaire : psychologue, sage-femme, médiation en santé, infirmier en pratique avancée... Les premiers centres dits « spécialisés » sont maintenant soumis à des agréments depuis la loi de 2023 alors que les centres « pluridisciplinaires » relèvent toujours d'un simple système de déclaration.

Fabienne Orsi : Pourriez-vous préciser brièvement en quoi consiste cette loi de 2023?

Johanne Menu : La loi Khattabi prévoit notamment pour les centres ayant des activités dentaires, ophtalmologiques et orthoptiques de mettre en place un système d'agrément pour l'ouverture des centres et d'élargir les droits d'inspection et de contrôle de l'Agence Régionale de Santé (ARS) et de l'assurance maladie sur ces structures-là. Il s'agissait de renforcer les conditions de création et de contrôle sur une activité qui avait connu beaucoup de dérives.  

Fabienne Orsi :  Ce n'est pas le cas pour les centres de santé pluriprofessionnels?

Johanne Menu : Non. Pour les centres polyvalents, moins sujets à dérives en termes de qualité des soins ou d'abus de facturation à l'assurance maladie, des commissions paritaires de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) peuvent se réunir pour assurer un contrôle quand des abus manifestes sont détectés par l'assurance maladie, par exemple, dans la facturation, mais ces centres ne sont pas soumis à agrément préalable pour leur installation. Certaines ARS peuvent cependant demander aux porteurs de présenter leur projet de centre en Commission de Coordination pour l'Offre de Soins de Proximité (CCOPD).

Fabienne Orsi : Il me semble que la loi Hôpital Patient Territoire de 2009  (loi HPST)  a joué un rôle important dans l'histoire des centres de santé.

Johanne Menu : Oui cette loi de 2009 a rénové le cadre juridique applicable aux centres de santé et a par exemple permis aux établissements de santé à but non lucratif de créer ou de gérer directement un centre de santé.  

Fabienne Orsi :  Nous allons y  revenir. Avant cela, j'aimerais que nous fassions le lien avec l'histoire des centres de santé de la mutualité des travailleurs, créés à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône dans les années 1950 , donc bien avant la loi qui régit actuellement les centres de santé.

François Crémieux  : Avant la loi de 2009 il y avait deux grands types de centres de santé. D'une part, vous avez raison, ceux qui relevaient de ce qu'on appelle le titre 4 du Code de la mutualité qui définit le cadre juridique des établissements mutualistes assurant un service de santé, notamment, donc, les centres de santé. Ces centres de santé ont pris la suite des « dispensaires mutualistes » de la fin du XIXᵉ siècle pour apporter des soins aux adhérents des mutuelles. Après-guerre, au moment de la création de la Sécurité sociale dans le sillage du Conseil National de la Résistance, le mouvement mutualiste a résisté face à la médecine libérale et a imposé ses centres. Il se trouve que c'est dans notre département, les Bouches-du-Rhône que le mouvement mutualiste a porté la politique sanitaire et sociale la plus active avec le développement d'un grand nombre de centres de santé mutualistes caractérisés par le salariat des médecins et une pratique de la médecine déjà à l'époque pluriprofessionnelle.   Les autres centres de santé qui existaient avant la loi de 2009 étaient des centres de santé à gestion municipale : c'est l'histoire des centres de santé de la « banlieue rouge » parisienne. Ceux-là sont les héritiers des dispensaires municipaux et de nombreuses municipalités communistes d'après-guerre ont soutenu ces dispensaires, administrativement intégrés à l'administration municipale puis les ont progressivement fait évoluer vers le statut plus moderne de « centre de santé ».   Puis progressivement a émergé dans les années 2000 un troisième type de centres de santé, ceux-là portés par des associations.  Et, la loi HPST de 2009 a donc introduit la possibilité pour des hôpitaux d'être gestionnaires de centres de santé.  Longtemps la seule exception de centre de santé géré par un hôpital a été celui du centre hospitalier de la Tour Blanche à Issoudun .

D'ailleurs, la Fédération Nationale des Centres de Santé s'est historiquement constituée autour des centres municipaux franciliens avant de s'élargir à tous : centres mutualistes, associatifs et désormais hospitaliers . Les hôpitaux ont donc été longtemps réticents à porter des centres de santé pour des raisons diverses.  Ils n'en avaient pas la culture, dans un système français très structuré autour de l'idée de soins primaires, secondaires et tertiaires. La médecine « sociale » (PMI, médecine scolaire ou du travail) devant porter les soins primaires, la médecine libérale de ville les soins secondaires, les hôpitaux le tertiaire. Les maladies chroniques et le vieillissement de la population  ont progressivement rendu moins pertinente cette séparation stricte.   Par ailleurs, les hôpitaux n'en avaient pas les moyens et évitaient de se placer en « concurrence » avec les centres existants ou les libéraux installés à proximité. Dans les territoires dépourvus d'offre de soins, démarrer un centre de santé était compliqué dans ces zones rurales ou « déserts médicaux » à l'attractivité difficile.   Enfin, les centres de santé répondaient historiquement à un modèle économique déficitaire, largement « subventionnés » pour les uns par les municipalités, pour les autres par les mutuelles et les hôpitaux n'étaient pas volontaires pour compenser.   Donc la loi de 2009 a introduit la possibilité pour des hôpitaux de gérer des centres de santé, en parallèle les modèles économiques ont aussi évolué et pour en arriver à l'histoire d'aujourd'hui la particularité marseillaise est que l'AP-HM est le premier Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) à porter des centres de santé. Mais, c'est la suite de notre discussion.  

Fabienne Orsi :  Pour revenir aux centres de santé mutualistes cette fois, il est intéressant de voir la continuité que vous opérez.  

François Crémieux : Oui, un mot peut-être pour illustrer cette continuité : un des quatre centres de santé de l'AP-HM, le centre André Roussin situé entre la cité de la Castellane et l'Estaque a été créé à l'origine par des femmes médecins généralistes issues justement d'un centre mutualiste dans le quartier de saint Antoine. C'est une rencontre avec le directeur de l'époque de l'hôpital psychiatrique Edouard Toulouse qui a suscité le projet d'un centre original : au rez-de-chaussée de la médecine générale et à l'étage un centre médico-psychologique (CMP). L'AP-HM a repris la gestion de ce centre en janvier 2024.

L’Espace santé, un service hospitalier « hors les murs », précurseur des centres de santé de l’AP-HM

Fabienne Orsi : Nous reviendrons sur ce centre. Mais d'abord, à votre arrivée à la direction de l'AP-HM vous avez pris connaissance de l'existence de l'Espace santé créé en 2016. Pouvez-vous me parler de ce centre précurseur ainsi que de la manière dont vous l'avez fait évoluer ?  

Johanne Menu : L'Espace santé initialement n'était pas un « centre de santé » au sens juridique du terme, mais un service hospitalier de l'AP-HM « hors les murs », c'est-à-dire un service hospitalier installé en ville, au rond-point Capitaine Geze,  face au métro . Il a été initialement porté par la Docteur Anne Galinier , avec la volonté d'avoir à la fois un service qui offrait des consultations et une équipe de prévention pluridisciplinaire qui faisait de « l'aller-vers ». C'était donc déjà une structure qui avait cette culture d'aller-vers les populations et de s'adapter aux besoins identifiés sur un territoire donné.  C'est donc en même temps un lieu dans lequel on peut se rendre pour consulter et un lieu à partir duquel des équipes évoluaient vers les habitants et les patients : « l'aller-vers ».  

Fabienne Orsi : Vous avez donc transformé l'Espace santé en centre de santé.

Johanne Menu :  Oui : « l'Espace santé » a été créé dans le cadre du « plan Ayrault » à Marseille avec donc un financement pour quatre ans. À l'issue, lorsque le financement s'est tari, s'est posée la question de pérenniser cette offre de soin dans un dispositif de droit commun. Après hésitation entre différents dispositifs possibles, par exemple, un groupement de coopération sanitaire (GCS),  nous avons décidé de transformer cet espace santé, qui avait entre-temps déménagé de Capitaine Gèze à la cité des Aygalades, en centre de santé dans le cadre de l'Accord national  au 1ᵉʳ janvier 2022. 

Fabienne Orsi :  Pourquoi avez-vous choisi ce statut-là ?  

Johanne Menu : C'était celui qui était le plus proche de l'activité existante et qui, en termes d'équilibre économique, était le plus réaliste. C'était aussi le meilleur choix pour limiter la lourdeur administrative de gestion, les autres dispositifs comme un GCS sont plutôt destinés à des structures plus importantes.  

François Crémieux : C'était aussi le statut qui correspondait à ce qu'on voulait faire, c'est-à-dire à la médecine ou à l'offre de santé que nous souhaitions. C'est aussi cela la continuité avec l'histoire : une certaine conception de la médecine et du lien entre structures, professionnels, patients et même habitants. Nous voulions porter une médecine générale globale, à la fois de la prévention, de l'éducation à la santé, du soin évidemment, mais également de la réhabilitation, avec un sens de l'accompagnement dans la vie notamment des malades chroniques. Voilà une ambition dont nous pensons qu'elle n'est pas (ou difficilement)  compatible avec une médecine libérale – par exemple, une convention avec trois médecins libéraux qui monteraient une maison de santé.  Pour cela, le choix était donc logiquement un dispositif autour de médecins salariés auquel nous « croyons », c'est-à-dire que nous pensons que la relation salariale est plus propice à une médecine de continuité. Une des caractéristiques françaises atypiques est justement que la médecine de premier recours est quasi exclusivement une médecine libérale, et la médecine hospitalière opérée principalement par le service public.   Dans de nombreux pays, c'est souvent l'inverse. La médecine de premier recours est plutôt une médecine salariée, souvent publique, parfois privée, et la médecine hospitalière plus souvent opérée par des acteurs privés à but lucratif ou non et avec des praticiens qui peuvent être libéraux, payés à l'activité. Sans entrer dans le détail, la France a cette caractéristique d'être plutôt dans un modèle inverse.   Si je défends sans hésitation la force de notre hôpital public, je pense que nous percevons tous aujourd'hui les limites en termes d'organisation de soins de premier recours organisés par des praticiens libéraux et isolés. Cela ne fonctionne plus pour l'accompagnement de la chronicité, la prise en charge d'une population vieillissante qui nécessitent à la fois de la pluridisciplinarité et du « pluri-professionnalisme ». Et, au-delà de s'organiser pour une bonne prise en charge individuelle, c'est aussi un enjeu pour lutter contre les inégalités de santé, revoir le lien entre médecine somatique et médecine de prévention, les liens avec la PMI (protection maternelle et infantile), la santé scolaire, la santé au travail etc.   Nous voulions donc porter une médecine salariée, pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle et qui d'ailleurs correspond aussi à notre ADN hospitalier. Il fallait aussi un dispositif dont le modèle économique soit pérenne, au-delà du principe.  La situation financière de l'AP-HM ne l'autorise absolument pas à se porter en appui d'une offre de soins non ou mal financée.   Nous ne pouvions pas poursuivre sur le modèle  « Espaces santé » hospitalier, l'hôpital ne pouvant pas facturer à l'assurance maladie le fait d'être « médecin traitant ». C'est ce que permet le centre de santé et c'est ce qui correspondait à notre ambition pour les patients.   L'hôpital ne peut pas non plus facturer à l'assurance maladie l'atteinte d'objectifs de santé publique, par exemple la proportion de la file active inscrite dans le dépistage organisé du cancer du sein, du cancer colorectal, sur le suivi de la glycémie au long cours des patients diabétiques, etc. Rien de cela n'est, et c'est logique, prévu dans le cadre usuel de l'activité hospitalière et du financement des hôpitaux.

Le dispositif « centre de santé » permet cela : une médecine salariée pluriprofessionnelle, pluridisciplinaire qui assure à la fois de la prévention, l'éducation à la santé et la dispensation de soins, et qui peut être en lien avec l'assurance maladie, financé pour ces missions. Ainsi, nous avons fait le choix logique de ce dispositif qui permet de faire ce que nous pensions utile pour les populations des quartiers populaires de Marseille.  

Fabienne Orsi : Ce que vous évoquez là relève à la fois du modèle de soin et de son modèle économique. Nous pourrons y revenir. Si l'on revient un peu en arrière, pourriez-vous me dire comment l'Espace santé vous a inspiré, vous a aidé ou a été un premier pas à partir duquel déployer d'autres centres de santé.  

François Crémieux  : Il me semble que la question ne s'est pas posée en ces termes. L'Espace santé qui avait été porté par la Dr Anne Galinier était en réalité un centre de santé qui ne disait pas son nom, notamment par la nature de son activité, le fait que les médecins généralistes et spécialistes étaient salariés. Ce sont les caractéristiques fortes d'un centre de santé.  Ainsi, l'inconvénient de ne pas l'avoir labellisé centre de santé et que ce ne soit pas son statut est que cela ne permettait pas, en lien avec l'assurance maladie, d'avoir ce type-là de financement des soins. L'Espace santé ne nous a pas seulement inspiré : il était ce que nous voulions faire et ce qu'avait porté Anne Galinier était de fait un centre de santé. Nous nous sommes finalement contentés de porter « administrativement » cet espace santé avec un statut qui lui permettait de se développer.  

Fabienne Orsi : Oui, ma question était plutôt de savoir en quoi l'Espace santé par son activité pluriprofessionnelle, sa façon de faire de la « médecine sociale », selon les termes d'Anne Galinier, a été pour vous un modèle de référence ou une aide par la suite pour déployer les autres centres.

François Crémieux :  Le travail du Docteur Anne Galinier et l'expérience de l'équipe autour du centre de santé, - citons aussi le Docteur Michel Rotilly - a posé les bases de ce projet. Johanne et moi arrivions de la région parisienne, et c'est exactement le travail que nous avions fait avec les centres de santé municipaux que nous évoquions plus tôt.  Nous avons tous deux travaillé avec le centre de santé de Gennevilliers, un de ces centres municipaux historiques, mené par un médecin directeur exceptionnel, Docteur Alain Tyrode, et nous avions progressivement tissé les liens avec l'hôpital Louis Mourier (AP-HP). J'avais aussi travaillé avec le centre de santé de Nanterre. Alors directeur adjoint puis brièvement directeur de l'hôpital Louis Mourier, il y a une vingtaine d'années, nous avions établi ces liens avec les centres de santé de Nanterre et Gennevilliers. Quelques années après, directeur de Bichat et Beaujon, j'avais récidivé avec le centre de santé de Saint-Ouen. Ce qu'avait construit le Docteur Anne Galinier sans l'appellation « centre de santé » — cette consultation avancée de l'hôpital dans des quartiers populaires, ressemblait à s'y méprendre à ce qu'ailleurs, on appelait centre de santé en médecine salariée ou maison de santé pluridisciplinaire (MSP) quand ces structures sont portées par des libéraux.  

Fabienne Orsi : Ce n'est pas tout à fait la même chose une maison de santé et un centre de santé, la pluridisciplinarité ne s'organise pas de la même manière, non ?  

François Crémieux : La différence majeure est que les uns sont libéraux et les autres salariés. C'est presque la seule différence, les maisons de santé sont, comme l'indique leur nom, « pluridisciplinaires » et portent souvent cette même vision « holistique » de la santé. Il est vrai que certaines sont moins engagées et se limitent parfois à la cohabitation dans un local de quelques libéraux.  

Johanne Menu : Oui parce qu'il y a aussi cette variété dans les centres de santé.  

François Crémieux : Oui, des centres de santé incarnent avec détermination une vision holistique et globale de la santé sur un territoire, d'autres ont évolué de manière moins pertinente et peuvent finir par ressembler plus à un local partagé qu'à un travail d'équipe. Ainsi, ce qu'avaient porté les Dr Galinier puis Rotily était un bon modèle qui fonctionnait bien, dynamique et qui avait une bonne réputation auprès des patients. Je suis arrivé à la direction de l'AP-HM au moment où l'Espace santé venait d'être déplacé de Capitaine Geze aux Aygalades pour des raisons de locaux.  Comme je connaissais bien le monde des centres de santé, j'ai fait cette proposition de le « transformer » en centre de santé plutôt que de continuer à porter une sorte de service hospitalier, et donc bénéficier des avantages des centres de santé, notamment en termes de modèle économique.   L'enjeu du modèle économique, ce n'est pas seulement une question d'équilibre financier de fin de l'année. C'est aussi d'être financé pour les missions qu'on réalise, en l'occurrence d'être payés par la Sécurité sociale pour les soins prodigués, mais également pour les actions de santé publique.   Or l'hôpital n'est pas financé pour cela, comme je l'ai déjà indiqué, ni pour des journées d'actions de prévention au pied des immeubles, sur la prévention du diabète, des risques cardiovasculaires ou de la transmission du VIH et d'autres infections sexuellement transmissibles.   L'objectif dans les quartiers populaires, c'était de trouver la manière d'être financé pour remplir ces missions.  Ce modèle de centre de santé répond largement à cette ambition.   Par ailleurs le centre de santé a un autre avantage par rapport à l'Espace santé monté par le Docteur Anne Galinier : au lieu de rester une structure de l'hôpital, le centre devient une structure un peu « à côté » de l'hôpital, avec une certaine indépendance même si c'est l'AP-HM qui assure la gestion. Mais, le fait d'être « centre de santé » facilite les partenariats avec les collectivités, ville, département, métropole ou région, avec les associations, les acteurs médico-sociaux, la PMI, des institutions comme la CPAM ou l'Observatoire Régional de la Santé. Il y a de nombreux acteurs qui se sont ainsi portés « partenaires » des centres de santé.  

Je suis certain que ces partenariats autour de ces missions spécifiques auraient été plus difficiles à développer au niveau de la grande assistance publique.

Johanne Menu : Il est clair pour tous qu'un centre de santé, c'est principalement une consultation de médecin généraliste et un suivi de proximité par une équipe. Ce n'est pas associé à un bâtiment hospitalier. C'est donc une porte d'entrée sur du soin de premier recours.    

François Crémieux : Oui et ces centres de santé de l'AP-HM donnent aussi une lisibilité pour les professionnels. Quand on recrute des médecins, leur dire « vous allez venir travailler dans un centre de santé universitaire porté par l'AP-HM » fait sens, et donc nous avons vu venir des professionnels intéressés. Certains sont même venus directement de Bretagne ou de Paris, attirés par cette idée de travailler dans un « centre de santé » dont ils percevaient immédiatement le sens et la mission. Attirer ces mêmes médecins ou professionnels d'autres métiers dans une consultation d'un espace santé de l'AP-HM aurait pu être plus compliqué : il aurait fallu convaincre qu'il était possible de faire une médecine générale de qualité dans un CHU, ce qui n'est pas intuitif. La notion de centre de santé porte intuitivement cette idée d'une vocation de médecine « sociale », de logique d'insertion dans un quartier etc.

La raison d’être des centres de santé hospitaliers : ni low cost, ni humanitaire, ni privé lucratif mais du service public de proximité

Fabienne Orsi : Essayons d'aller plus avant dans la compréhension du modèle centre de santé hospitalier ou plus précisément hospitalo-universitaire. Précédemment, vous indiquiez que lorsque vous étiez en région parisienne, vous travailliez déjà en tant qu'hospitalier avec des centres de santé, mais municipaux.  Ici à Marseille, la différence est que les centres de santé sont hospitalo-universitaires.  Pourriez-vous m'expliquer la différence, entre un centre de santé municipal travaillant en lien étroit avec un hôpital et un centre de santé hospitalier.  

François Crémieux : Entre un centre de santé municipal en lien étroit avec un hôpital et un centre de santé de l'AP-HM, il y a deux différences principales. La première, c'est que le gestionnaire du centre est donc l'hôpital et non, dans l'exemple francilien, une municipalité. Nous serons peut-être plus ou moins bon gestionnaire, mais l'AP-HM est donc gestionnaire du centre, nous facturons, percevons les financements et engageons les dépenses. Ainsi, c'est la première différence, l'établissement de santé, en l'occurrence l'AP-HM, est gestionnaire. La seconde différence est le statut des professionnels puisque dans un cas, ils sont salariés de l'hôpital, dans l'autre, salariés de l'association, de la mutuelle ou de la municipalité qui gère le centre de santé. C'est une différence importante. Moins peut-être pour les paramédicaux (infirmiers, aides-soignants) car actuellement un statut d'infirmier salarié de municipalité ou d'hôpital peut ne pas être très différent. En revanche, pour les médecins, c'est assez différent, dans un cas, ils sont praticiens hospitaliers et peuvent aussi avoir des parcours universitaires comme en devenant maîtres de conférences universitaires rattachés à un CHU. C'est une situation plus exceptionnelle pour un médecin salarié d'une ville.  

Fabienne Orsi : Donc toutes les personnes qui travaillent dans les centres de santé hospitaliers sont toutes salariées de l'AP-HM.  

Johanne Menu : En fait, dans les centres de santé, c'est forcément du salariat et les professionnels sont salariés de la structure gestionnaire. Dans le cas des centres marseillais, ils sont donc salariés de l'AP-HM.  

François Crémieux :  Ils sont soit fonctionnaires, soit contractuels de la fonction publique, mais comme partout ailleurs, ils sont salariés de l'AP-HM à l'égal des autres.  

Fabienne Orsi : Travaillent-ils à temps plein dans les centres de santé ou bien certaines personnes travaillent-elles aussi dans des services intra-hospitaliers?

Johanne Menu : Effectivement en particulier les médecins, il y en a beaucoup qui ont des temps partagés entre, par exemple, la Permanence d'Accès aux Soins de Santé  et les centres de santé, ou entre les urgences et le centre de santé, ou encore avec le CeGIDD

Fabienne Orsi : Revenons sur votre vision politique en matière de centres de santé. Pourriez-vous expliquer pourquoi, à votre arrivée à la direction de l'AP-HM, vous avez décidé de multiplier ces centres de santé.  

François Crémieux : C'est vrai que cela a été une volonté politique. À la fois au sens de la politique de santé que porte l'AP-HM et volonté politique au sens plus sociétale avec le constat d'une ville très segmentée entre ses quartiers populaires et ses quartiers bourgeois, entre le nord et le sud, et, pour être direct, entre quartiers riches et pauvres. Le constat partagé par tous est qu'il y a un enjeu d'accès aux soins dans les quartiers populaires ou quartiers nord. Je porte la conviction qu'il ne faudrait pas que l'accès aux soins dans ces quartiers soit à terme organisé par de la médecine humanitaire, ce qui est en partie le cas aujourd'hui avec des acteurs comme Médecins du Monde, qui font un travail remarquable par ailleurs. Mais, ça ne peut pas être la réponse.  Le but d'ailleurs de Médecins du Monde a toujours été d'être présent là où il fallait, mais avec l'objectif de se retirer au bénéfice d'un « droit commun ». Les habitants de ces quartiers ont ce droit à une réponse de droit commun comme dans le champ de l'éducation, de la sécurité, de la culture, etc. Ils en ont le droit et nos services publics le leur doivent. D'autre part, ma crainte complémentaire est le risque d'une médecine privée à la « low cost » et de piètre qualité. Ce privé « low cost », nous commencions à le voir arriver dans le champ du dentaire, dans le champ de l'ophtalmologie et on savait qu'il se développerait dans le champ de la médecine générale. Donc, l'objectif pour un grand service public de la santé comme l'AP-HM, c'est ni du privé « low cost », ni à terme, des quartiers entiers soutenus par une médecine « humanitaire ».  Selon moi, c'est au service public d'apporter une réponse aux besoins de santé, au nom de l'égalité républicaine de tous nos concitoyens et tous nos territoires devant l'éducation, la justice, la culture ou la santé. Cela s'est inscrit dans le plan « Marseille en grand » lancé par le Président de la République en 2021.  C'est donc effectivement une volonté politique que nous sommes nombreux à porter à l'AP-HM, à savoir que c'est au service public d'être là où il n'y a rien ou insuffisamment, notamment en termes d'offre de soins.  C'est une position et un discours qui ont recueilli un assentiment assez large, de la part notamment des collectivités (ville, département, région) qui toutes ont soutenu et aidé financièrement de manière très significative. La ville subventionne par exemple la médiation en santé , le département nous a soutenu notamment sur le plan des locaux pour nous aider à nous installer en particulier aux Flamants et aux Aygalades.  Dans les deux cas, c'est le bailleur social 13 habitat qui nous héberge et la région a largement financé les investissements.   C'est pour cette raison également que le portage politique d'un centre de santé en lien avec l'ambition politique d'une réponse aux besoins de santé, de réduction des inégalités dans les quartiers nord créait aussi la possibilité d'un dispositif de ralliement des politiques publiques départementales, municipales, métropolitaines, régionales et nationales.  Les centres de santé de Marseille ont permis cela et c'est peut-être en ceci, plus encore que par leur activité propre, qu'ils pourraient essaimer ailleurs.

Fabienne Orsi : Qu'entendez-vous par le fait que les centres de santé de Marseille ont permis ce ralliement politique ?  

François Crémieux : Ces centres de santé, ceux que l'on a créés, ont autorisé ce ralliement politique de la part de nos collectivités territoriales pour nous aider, nous soutenir, nous financer, etc. Sans elles, il n'y aurait pas de centres de santé à Marseille. Grâce à elles, ça fonctionne et plutôt bien.  

Fabienne Orsi : C'est une démarche relativement novatrice d'extension de la notion de service public en santé et de son périmètre qui plus est venant d'un hôpital public.  J'aimerais bien que l'on revienne sur votre expérience de directeur d'hôpital public. Vous portez une idée forte selon laquelle l'hôpital public doit sortir de ses murs pour développer du service public de santé de proximité. Je souhaiterais poursuivre la discussion sur ce sujet, car ce n'est pas très répandu comme discours et comme engagement.  

François Crémieux :  Oui, c'est novateur et de mon point de vue, c'est un des enjeux majeurs dans le domaine des politiques publiques en santé des prochaines années. Alors que nous développions ou créions des centres de santé à Marseille, il y a eu une autre histoire parallèle, celle particulière du centre de santé d'Aubagne. Ce centre de santé était un centre de santé associatif, géré par une association et qui, pour diverses raisons, s'est retrouvé d'abord en redressement puis en liquidation judiciaire. La suite se joue donc à la barre du tribunal.  Deux repreneurs ont été rapidement connus, le groupe privé lucratif Ramsay santé  et l'hôpital Saint-Joseph de Marseille, hôpital privé à but non lucratif. Nous, l'AP-HM, nous sommes alors aussi portés repreneurs du centre de santé.   Notre raisonnement a été le suivant : si à proximité du centre hospitalier public d'Aubagne le centre de santé devait être géré par une structure hospitalière privée – nous aurions certes préféré Saint-Joseph (non lucratif) à Ramsay (commercial) — dans les deux cas, cela aurait probablement eu des conséquences. Les deux repreneurs auraient continué d'assurer, et certainement très bien, les soins de proximité.  Mais, nous avions la crainte que pour les patients ayant besoin d'un recours hospitalier, le centre de santé aurait pu orienter différemment les malades. D'un côté les patients avec un problème cardiaque, mais aussi précaires, complexes, etc. seraient orientés vers l'hôpital public d'Aubagne, les patients plus jeunes, cardiaques aussi et, par exemple, requérant des gestes de cardiologie-interventionnel, orientés vers l'établissement privé de « rattachement », la clinique Ramsay la plus proche ou l'hôpital Saint-Joseph. Le risque dans les deux cas était moins un sujet de qualité de prise en charge individuelle, que celui d'un affaiblissement de l'hôpital public d'Aubagne.   Nous avons donc décidé d'aller à la barre du tribunal pour nous porter également repreneur. Nous avons fait une proposition et nous avons repris la gestion du centre. La démarche était d'ailleurs moins dans un intérêt direct de l'AP-HM. Le centre de santé d'Aubagne est une petite structure dont la patientèle ne changerait rien au devenir de l'AP-HM. En revanche, nous étions très attachés à ce que l'hôpital d'Aubagne – qui fait partie de notre groupement hospitalier de territoire – ne soit pas déstabilisé et au contraire même, renforcé.   C'est d'abord l'intérêt des malades que de bénéficier d'une prise en charge de proximité, sur leur territoire, la mieux articulée possible entre un centre de soins primaires et un hôpital proche. C'est aussi l'intérêt de l'hôpital et des équipes d'être en lien fort avec la médecine de proximité et de ne pas subir des parcours segmentés pour les malades orientés les uns vers eux, les autres ailleurs.   Pour notre territoire, si l'hôpital d'Aubagne ne va pas bien dans telle ou telle discipline, peine à recruter des professionnels, par exemple, ou à trouver un équilibre pérenne, les patients vont logiquement aux urgences, notamment celles de l'AP-HM qui se retrouvent en première ligne. L'intérêt de l'AP-HM était donc, indirectement, en renforçant une logique territoriale autour d'Aubagne, de ne pas affaiblir une offre de soins, et donc d'éviter de mettre l'AP-HM inutilement en première ligne.   En clair, le bon fonctionnement de l'AP-HM dépend beaucoup du bon fonctionnement des hôpitaux périphériques d'Aubagne, Salon, Martigues, etc et d'une bonne organisation des parcours de soins des patients à l'échelle de leurs territoires de vie.

Nous avons donc agi au titre du Groupement Hospitalier de Territoire, en appui de l'hôpital d'Aubagne qui aurait été en difficulté pour faire une proposition de reprise d'un centre de santé. Les équipes d'Aubagne n'avaient pas l'expérience des centres de l'AP-HM, donc pas l'expertise technique et notamment financière.   Alors que nous étions engagés dans cette action de reprise, un grand groupe associatif, le COSEM (Coordination des œuvres sociales et médicales) qui gérait, de mémoire, 17 centres de santé, situés principalement en Île-de-France, était aussi en liquidation judiciaire. À la barre du tribunal à Bobigny, Ramsay Santé a fait une offre de reprise pour l'ensemble de l'activité du COSEM. Parmi ces centres de santé, l'un était situé au centre de Marseille, place Castellane. Repris dans le cadre de cette procédure judiciaire, ce centre est donc désormais dirigé par Ramsay Santé et en lien avec les cliniques marseillaises du même groupe.  

Fabienne Orsi : Les centres COSEM étaient à but non lucratif, c'est cela ?

François Crémieux :  Oui... et cela se termine par une liquidation judiciaire après quelques dénonciations médiatiques de mauvaise gestion. Le côté « non lucratif » des associations est parfois ambigu. Le statut interdit certes la rémunération d'actionnaires, mais parfois les flux financiers par l'intermédiaire de salaires aux dirigeants ou de montages financiers de loyers reversés aux propriétaires des murs peut rendre l'aspect « non lucratif » discutable.   En tout cas, des centres gérés par une association et le secteur non lucratif ont basculé dans le secteur commercial au sein d'un grand groupe international côté en bourse. Ce rachat par Ramsay rend probable cette inquiétude exprimée de parcours de soins organisés de manière directe entre le centre de santé place Castellane et les cliniques du groupe.   Et en tant que responsable du service public hospitalier, j'estime légitime de lutter contre ces dérives. J'ai la conviction que l'organisation de la santé dans notre pays demain ne peut pas se faire autour d'organisations verticales avec des centres privés à but lucratif liés aux cliniques alentour. Ramsay, structure privée capitalistique liée à un fonds d'investissement australien, assume très exactement l'inverse au nom d'une graduation des soins en feignant d'ignorer que cette graduation sera par ailleurs segmentée selon les profils des patients.   Ma position n'est pas une pétition de principe contre l'hospitalisation privée. Des cliniques ou des groupes privés d'histoire quasi familiale, très intégrés dans leur territoire, jouent clairement le jeu du territoire. Un groupe capitalistique comme Ramsay peut décider à tout moment de se retirer d'une région, d'un type de prise en charge ou au contraire mettre tous ses moyens pour développer tel autre parcours et déstabiliser les établissements alentour. Voilà le problème. Je pense donc qu'un service public, en l'occurrence l'AP-HM doit faire son possible pour que l'offre de soin d'un territoire reste pilotée par une politique publique à l'initiative de l'ARS et que la compétition organisée dans notre système français entre public et privé ne conduise pas ou le moins possible à la déstabilisation délétère des établissements et des équipes d'un territoire.
 

Les spécificités des quatre centres de santé de l’AP-HM

Fabienne Orsi : Revenons aux centres de santé de l'AP-HM. Combien de centres de santé avez-vous créés ou dirigez-vous ?  

François Crémieux :  Aujourd'hui l'AP-HM gère quatre centres : l'Espace santé transformé en centre de santé aux Aygalades, le centre André Roussin repris en gestion de l'hôpital Edouard Toulouse, le centre d'Aubagne et le centre des Flamants, créé en 2023.  

Fabienne Orsi : Pourquoi l'hôpital psychiatrique Edouard Toulouse n'a-t-il pas continué à gérer ce centre ? Quel était le problème ?  

François Crémieux : Il n'y avait pas réellement de problème. D'abord c'était une belle histoire, à la fois en lien avec l'histoire de la mutualité à Marseille comme évoqué précédemment et parce que dans le même bâtiment cohabitent le centre de santé et un centre médico-psychologique de psychiatrie. C'était intelligent d'avoir en même temps une prise en charge du somatique et de la santé mentale dans le même lieu.   La difficulté d'Edouard Toulouse est que c'est un hôpital psychiatrique. Attirer et fidéliser des médecins généralistes, faire le lien avec les consultations de spécialistes de l'hôpital était plus compliqué. Nous sommes par ailleurs dans le même GHT, hôpitaux publics dans les deux cas, nous nous connaissons bien et avons pensé que l'AP-HM serait  un gestionnaire plus approprié pour un centre de santé et qu'il nous serait plus aisé de recruter des médecins généralistes, assurer le lien avec les disciplines de spécialité. L'AP-HM a donc repris la gestion du centre de santé, tout en continuant de travailler avec le CMP que l'hôpital Edouard Toulouse gère toujours.  

Fabienne Orsi :  D'accord, ce sont deux structures juridiques différentes, mais qui travaillent ensemble. Le fait d'avoir créé le centre André Roussin dans le même bâtiment que le CMP était, dès le départ, je crois, explicitement voulu par ses fondatrices qui ont monté le projet d'ailleurs avec des psychiatres d'Edouard Toulouse, ce qui explique que le centre a d'abord été rattaché à cet hôpital.

Johanne Menu : Oui, les CMP et les centres de santé sont sur deux modèles juridiques différents.  Les CMP sont rattachés au secteur de psychiatrie  et les centres de santé sont indépendants.

François Crémieux :  C'est donc pour essayer de dynamiser cette offre de soins de médecine générale dans les centres de santé que nous avons repris le centre en gestion.  

Fabienne Orsi :  À Aubagne, les personnes qui y travaillent. Ce sont les mêmes ?  

Johanne Menu : Lorsqu'on a fait la proposition de reprise, nous avions une obligation de toute façon de reprendre le personnel ou en tout cas de faire des propositions à chacun.  Certains sont restés, d'autres ont fait le choix de partir.  Mais, c'est vrai que l'équipe médicale historique est restée, l'équipe administrative aussi.  Dans l'équipe infirmière, environ la moitié sont partis, mais c'étaient des départs un peu prévus. Deux professionnels partaient à la retraite à ce moment-là.  

François Crémieux : En tout cas le centre garde la même médecin « leader » de l'équipe et pour l'instant les mêmes locaux même si nous avons le projet de les accompagner vers de nouveaux locaux.   Enfin, nous avons créé le centre de santé des Flamants.  Donc, là, il n'y avait rien.  

Johanne Menu :  On a ouvert le  16 octobre 2023.

François Crémieux : Pour les Flamants, nous avons cherché les locaux, les avons réhabilités, réalisé les travaux, et recruté une équipe.  

Fabienne Orsi :  Comment choisissez-vous le lieu d'implantation ?  

Johanne Menu : C'est un travail collectif, notamment avec l'ARS, l'observatoire régional de la santé, l'assurance maladie.   Dans le quatorzième arrondissement, il n'y avait aucune structure d'exercice coordonnée, c'est-à-dire ni centre de santé, ni maison médicale pluriprofessionnelle (MSP), ni autre.   Nous avions un petit comité à l'époque qui s'inscrivait d'ailleurs dans le comité du volet santé de « Marseille en grand » et on a collectivement choisi cet endroit-là.   On avait deux-trois autres lieux aussi qui nous avaient été proposés, notamment la cité de la Castellane, les Rosiers. Mais, s'est posée la question de la réalité des locaux puisque dans le cadre de l'ANRU (l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), beaucoup de cités sont concernées par des travaux à venir avec des bâtiments qui vont être supprimés. Les Flamants se sont donc avérés être une bonne opportunité.

À la Castellane les locaux proposés étaient assez facilement accessibles, situés sur une des façades externes de la cité mais ne faisaient que 80 mètres carrés, insuffisants pour la taille de l'équipe et le modèle que nous portions. Nous souhaitions installer des équipes d'au moins une dizaine de personnes pour faire en sorte notamment que jamais personne ne se retrouve seule dans des locaux et que la dynamique d'équipe fasse que les structures soient pérennes.

Par exemple, les médecins historiques des Aygalades sont progressivement partis, mais ils ont été remplacés. La structure existe toujours, et donc la taille des locaux, le dimensionnement des équipes permet d'avoir ce roulement un peu naturel.  

François Crémieux : Les centres de santé ont fonctionné tout l'été. C'est un engagement fort afin de garantir la continuité des soins. Il faut donc une taille critique qui ne fasse pas qu'entre le 15 juillet et le 15 août, ce soit porte fermée.  Donc avec des équipes d'environ 10 à 15 professionnels, c'est un minimum pour assurer la continuité des soins d'environ 8 heures à 19 heures et tous les jours de la semaine.  Nous n'avons pas l'ambition d'une permanence de week-ends ou de nuit, mais toute l'année sans interruption l'été. C'était un objectif fort : vis-à-vis de personnes déjà éloignées du soin, si en plus une fois sur deux le centre est fermé, cela ne peut pas fonctionner. En santé, mieux vaut ne rien proposer et que les malades s'organisent autrement que de proposer une offre bancale qui déstabilise encore plus leur prise en charge.  Ouvrir ces centres de santé doit aussi se faire à la condition d'être garants d'une offre de soins respectueuse des habitants et de qualité. Par ailleurs, une quinzaine de professionnels, c'est aussi la taille nécessaire pour que se crée un esprit d'équipe. En termes de sécurité dans des cités difficiles, avec du trafic de drogue et parfois des craintes, il faut cette taille d'équipe pour que les professionnels se sentent en sécurité.

Johanne Menu : Nous sommes même sur des amplitudes un peu différenciées selon la réalité des quartiers  : 8-19h et le samedi matin pour André Roussin. Pour les Flamants, nous avons des restrictions liées à la sécurité, y compris du bâtiment. On a donc créé des horaires d'hiver et d'été en fonction de l'heure de tombée de la nuit, et on ne peut pas l'ouvrir le week-end. À Aubagne, c'est ouvert en 8-20 heures, plus le samedi matin, voire le samedi après-midi. Vous voyez, on a aussi un peu adapté à la réalité.  

François Crémieux :  Les Flamants c'est une cité avec chicanes à l'entrée, un trafic de drogue important. On apprend à connaître les choufs , les différents acteurs de la cité (habitants, réseau, professionnels...) se côtoient plus ou moins paisiblement. Il a donc fallu un an de travail de préparation pour s'installer dans les locaux avec un travail « communautaire » (au sens de santé communautaire) pour rencontrer les associations, les gardiens d'immeubles, les responsables de l'OPHLM, etc.  Une fois le centre installé, c'est-à-dire quand on a considéré que nous étions acceptés dans l'environnement, les équipes ont tout mis en œuvre pour que professionnels, patients, accompagnants s'y sentent bien.

Une politique de maillage territorial, les centres de santé comme médecin traitant

Fabienne Orsi : Quelles sont les institutions ou les organismes avec lesquels vous travaillez principalement ?  

Johanne Menu : Le diagnostic territorial et de santé s'est fait avec essentiellement l'ARS. Nous travaillons aussi avec les partenaires des centres, prioritairement la PMI parce qu'ils sont souvent en recherche d'adressage de patients pour le suivi, le centre social –dans le quartier, c'est vraiment le centre social l'interlocuteur privilégié-, les associations qui sont installées à proximité. Le tissu associatif est vaste : associations d'aide alimentaire, sportives aussi, plus récemment, viennent vers nous les MECS (maisons d'enfants à caractère social). Depuis un an, les MECS ont remis en place le suivi annuel des jeunes, et donc les centres de santé deviennent « médecins traitants » pour les jeunes de ces structures.   Ainsi, par exemple, maintenant sur le grand saint Barthélémy nous allons avoir cinq structures associées, à André Roussin deux, à Aubagne deux aussi. L'idée est de créer des complémentarités.  

Fabienne Orsi : Qu'entendez-vous  par « structures associées » ?  

Johanne Menu : Il y a trois MECS installées quasiment à côté du centre des Flamants, et deux dans le 13e arrondissement qui n'ont pas de structure de médecine générale proche et qui nous ont donc demandé de pouvoir passer une  convention avec nous.  C'est aussi la suite indirecte de nos échanges avec l'URIOPS , mais également d'un « bouche-à-oreille » qui a fait que les éducateurs spécialisés de ces structures se sont rendu compte qu'ils pouvaient trouver un interlocuteur dans le centre pour la santé des enfants.

François Crémieux :  C'est là un autre lien avec l'enjeu du service public. Il y a un problème en France pour l'accès aux soins somatiques (notamment de médecine générale, dentaire, gynécologique, ophtalmologique...) des patients handicapés à la fois jeunes, adultes et vieillissants. C'est un sujet majeur et nous savons que les patients handicapés ont une inégalité de chance en partie liée à leur éloignement des soins somatiques. Ils bénéficient d'un moindre dépistage du cancer, pas toujours de soins bucco-dentaires, de dépistage cardiovasculaire très inégal, pas de suivi à l'adolescence à la fois en matière de prévention des MST, des grossesses non désirées. Donc, il y a un réel déficit d'accès aux soins et d'accès à la prévention pour ces personnes qui vivent avec un handicap.  La réponse est souvent de dire « certes, mais on ne trouve pas de médecins pour y aller ». Nous avons eu cette rencontre avec l'URIOPSS qui coordonne l'ensemble de ces structures. Dans la salle, une quarantaine de responsables de structures médico-sociales cherchaient chacun 0,2, 0,3  équivalent temps de médecin, parfois au maximum un mi-temps. Tous cherchaient des « bouts de médecin » qu'ils ne trouvaient donc pas. Je pense qu'ils trouvent difficilement, car cela présente peu d'intérêt quand on est médecin de travailler à 20% dans une MECS. Certains le font, et grand merci à eux. Mais, nous pensons que si ces structures contractualisent avec des centres de santé et leurs équipes pluridisciplinaires, qui peuvent alors prendre en charge les 25 enfants d'une même MECS ou les 50 adultes de tel foyer, alors nous pouvons répondre aux besoins de santé et dans un cadre attractif pour les professionnels, pérenne toute l'année et pas seulement dépendant de la disponibilité d'un unique professionnel.  

L'échange avec l'URIOPSS s'est donc poursuivi : aucune association ne peut recruter seule plusieurs médecins généralistes pour couvrir toutes les MECS de Marseille. En revanche, nous pensons que l'AP-HM pourrait le faire : la mission serait attractive pour des professionnels parce qu'elle a du sens, l'AP-HM serait attractive en termes de statut et nous aurions la capacité de porter le projet sur le plan financier même s'il faudrait, évidemment, que la mission soit financée. Je n'ai aucun doute qu'on puisse trouver ces quelques généralistes en France qui seraient intéressés par rejoindre l'assistance publique pour prendre en charge les jeunes des MECS. Donc, nous y travaillons actuellement, avec le département et en lien avec l'URIOPSS afin que les équipes des centres de santé puissent devenir les partenaires de ces structures d'accueil. Nous proposerons d'être « médecin traitant » en étant financés par l'assurance maladie. En général, la difficulté de ces structures pour répondre à ce besoin de prise en charge des jeunes n'est pas un sujet financier : la plupart des jeunes bénéficient d'une prise en charge de droit commun par l'assurance maladie.  Ils ont une couverture sociale, reste donc à ce qu'ils aient effectivement accès à un médecin, un pharmacien, un dentiste, etc. C'est pour moi un enjeu majeur en raison des difficultés générales de l'Aide Sociale à l'Enfance, et de nouveau un enjeu prioritaire de service public. Auprès des habitants des quartiers populaires comme pour les enfants placés à l'aide sociale, la question est donc qu'ils bénéficient du « droit commun » de la santé, et pas de mécanismes d'exception, associatif ou autres, voire ne bénéficient de rien. Ils ont des droits ouverts à l'assurance maladie, au service public de s'organiser pour répondre à leurs besoins de santé.

Johanne Menu : Avec l'Aide Sociale à l'Enfance, les difficultés sont parfois de détail : certains enfants ont les droits ouverts, mais on n'a pas encore leur carte vitale. Il s'agit donc juste de suspendre la facturation pendant les quelques jours, le temps qu'ils aient la carte vitale, pour accéder à des soins sans délai. Autant dire pas grand-chose.  

François Crémieux : L'étape suivante, novatrice, que nous avons commencé à enclencher que très modestement, sera que ces centres de santé participent aussi à la médecine scolaire des lycées ou collèges alentour. Chacun sait que la médecine scolaire est en difficulté avec des problèmes d'attractivité et de recrutement des professionnels. Dans une région comme la nôtre, le problème n'est pourtant pas notre attractivité (nous avons ici plus de médecins qu'ailleurs en France), mais bien un sujet d'attractivité spécifique pour ces missions et dans le cadre particulier du statut proposé par l'éducation nationale. Pourtant, de jeunes médecins intéressés par ces missions de prévention, d'éducation à la santé, à l'attention des enfants ou des jeunes, il en existe. Mais, sans doute seraient-ils eux aussi plus attirés par une activité en équipes pluridisciplinaires. Quel que soit leur statut, nous faisons le pari que si ces médecins étaient également en lien avec un centre de santé proche de leur établissement, toujours responsables des mêmes collèges ou lycées, ils pourraient être intéressés. Comme cela, je pense que nous pourrions renforcer l'attractivité de ces métiers et régler le problème de l'accès aux soins en médecine scolaire. Mais, aussi, être plus efficaces ! Prenons l'exemple à l'automne de la campagne de vaccination des élèves de cinquième contre le papillomavirus (HPV). La France est aujourd'hui lanterne rouge en Europe et notre ville lanterne rouge en France. Pourquoi ? Une réponse est que nul n'est aujourd'hui vraiment responsable d'atteindre l'objectif. Tous les acteurs sont de la meilleure bonne volonté, mais aucun n'a une sorte d'obligation de résultat. Si demain les centres de santé étaient mobilisés sur leurs établissements scolaires de territoire, je pense que nous pourrions faire mieux en mobilisant pharmaciens, logistique, étudiants, externes ou infirmiers.

Je plaide donc autour de cet exemple pour que nous passions à une responsabilité populationnelle en disant, par exemple, à l'assistance publique qu'elle a la responsabilité non seulement des patients qui viennent à elle, mais aussi de l'atteinte d'objectifs de santé publique ciblés pour une population définie.   L'AP-HM a, par exemple, un objectif de résultat sur l'organisation des transplantations.  De même sur la prise en charge des urgences et globalement de nombreuses activités. C'est plus ou moins facile, mais nul ne discute l'objectif.   Reprenons l'exemple de la vaccination contre le HPV, aucun acteur n'a réellement d'obligation d'atteindre un résultat. La suite va inéluctablement être l'augmentation des inégalités de santé face au cancer du col : les enfants des quartiers favorisés seront vaccinés, leurs parents trouvant leur chemin dans le système, et les enfants des quartiers populaires le seront moins. L'installation d'un service public de premiers recours dans les quartiers populaires, c'est aussi la possibilité demain de lui faire déployer tous les objectifs de politique publique en santé. Ce serait une rupture majeure en termes de politique de santé.  

Johanne Menu :  On peut faire le lien avec le covid, avec cette grande inégalité de vaccination et même de prise en charge des patients.  Les centres sont devenus centre de vaccination en lien justement avec les associations qui faisaient de « l'aller-vers » et du « ramener-vers » pour la vaccination.

« Dans ces territoires où il n'y a plus d’acteurs de proximité, c’est au service public hospitalier de suppléer »

Fabienne Orsi :  Il me semble que nous sommes au cœur du sujet. Vous dites que c'est le rôle de l'hôpital public que de créer des centres de santé.  

François Crémieux : Je pense que c'est le rôle du service public. Il se trouve qu'en l'occurrence, prodiguer des soins est assumé par le service public hospitalier puisqu'il n'existe pas de service public de premier recours ou de service public de la santé plus globalement. Historiquement, nous l'avons vu, un autre service public assumait ces missions : le service public municipal avec ces dispensaires dont la mission était exactement celle-là. Donc oui, je pense que c'est le rôle du service public parce que les enjeux relèvent des fondamentaux du service public : l'égalité de tous, la continuité. Dans ces territoires dans lesquels il n'y a plus d'acteurs de proximité, c'est au service public hospitalier de suppléer. Quand des libéraux sont nombreux et s'organisent tant mieux. Laissons-les faire. Mais, dès lors que des territoires sont en défaillance d'offre de soins, la définition même du service public, c'est qu'il doit être là où existe une inégalité de nos concitoyens face à un service essentiel de la République. Dans ces quartiers populaires de Marseille, je pense que c'est au service public d'intervenir.  

Fabienne Orsi : Comment les centres sont accueillis par les différents acteurs, je pense en particulier aux professionnels hospitaliers. Est-ce que certains intra-hospitaliers vont travailler dans les centres de santé ? Je suppose qu'il y a plusieurs positions.  La discussion est-elle engagée au sein des services de l'AP-HM ? Les professionnels de l'hôpital connaissent-ils les centres de santé ?

Johanne Menu : Il a été fait tout un travail pour à aller à la rencontre des différents acteurs et positionner ces centres en complémentarité avec l'offre de soins existante et jamais en concurrence.  Sur la communauté hospitalière de l'AP-HM, certains ont parfois pu être surpris. Mais, de manière parallèle à l'installation dans les quartiers, les équipes des centres sont allées présenter les centres dans les instances hospitalières, à la Commission Médicale d'Établissement, etc. Le plus souvent, les services hospitaliers y ont vu une opportunité, soit pour faire de la consultation dans ces centres, soit pour créer des filières d'adressage et de prise en charge et permettre aux centres d'avoir des avis spécialisés. Ces avis pouvant d'ailleurs se faire par télé-expertise, sans forcément que le patient ait à se déplacer. À l'inverse, les patients qui sortent de l'hôpital sans médecin traitant peuvent être orientés pour un suivi en ville. Mais, globalement, les centres des santés emportent plutôt l'adhésion.    

Fabienne Orsi : Les centres de santé sont-ils bien perçus par les libéraux ?  

François Crémieux : Jusqu'à présent, cela se passe bien aussi avec les libéraux, notamment avec l'Union Régionale des Professionnels de Santé (l'URPS), avec le Conseil de l'ordre. Nous sommes dans des territoires dans lesquels il n'y a pas d'enjeu de « concurrence ».  Jusqu'à présent, nous sommes soutenus, sans solliciter de soutien financier, mais nous agissons en bonne entente avec l'URPS ou le conseil de l'ordre. En parallèle de l'ouverture des centres, nous ouvrions aussi des maisons médicales de garde avec des libéraux dans les urgences. Cela pour dire que notre objectif n'est pas une position de principe pour ou contre la médecine libérale. Quand des libéraux sont intéressés pour venir travailler avec les urgentistes, ils sont les bienvenus et nous avons maintenant deux maisons médicales de garde à l'hôpital Nord et l'hôpital de la Timone avec une grosse activité. La maison médicale de garde de Nord est ancienne, mais celle de la Timone a été créée en 2021 en même temps que les centres de santé. De même, des libéraux participent au SAS  (Service d'Accès aux Soins) et d'autres contribuent de longue date à la régulation au SAMU.  Dans notre territoire, il faut donc distinguer deux sujets, celui des relations avec les grosses cliniques commerciales de groupes lucratifs comme Ramsay et la relation courante, et bonne, avec les libéraux en général.   Globalement à Marseille, la relation avec les libéraux est bonne, peut-être meilleure qu'ailleurs et dans l'environnement des quartiers populaires, l'enjeu est de répondre aux besoins.  Il nous semble que les autres acteurs sont satisfaits : associations, libéraux déjà installés et inquiets pour l'avenir, les rares dentistes (l'un deux est installé à proximité immédiate du centre des Flamants), les quelques kinés, les pharmaciens qui dispensent les médicaments prescrits, etc.  

Johanne Menu :  Les centres participent aussi à recréer du lien. Par exemple à la Castellane l'idée initiale était aussi que nous renforcions le quartier autour de la santé et, par exemple, la pharmacie qui était en danger faute de prescripteurs.  En fait, c'est un écosystème que les centres de santé permettent de redynamiser.  Depuis le centre de santé, les patients sont adressés aux kinésithérapeutes, dentistes, pharmacie alentour.  

François Crémieux : Les habitants viennent donc voir le médecin au centre de santé puis vont à la pharmacie d'en face acheter leurs médicaments. Pour compléter sur le versant hospitalier, quelques médecins, y compris des professeurs, font ou ont fait des consultations, et ainsi donné l'exemple.  En pédiatrie notamment, c'est très pertinent et l'intérêt est autant d'éviter les venues « inutiles » à l'hôpital que de permettre en sortie d'hôpital une continuité de prise en charge en ville. C'est tout simplement du bon sens.  

Fabienne Orsi :  J'aimerais revenir sur le modèle économique des centres. Nous avons déjà évoqué le fait que les professionnels qui travaillent sont exclusivement salariés hospitaliers.  Concernant les bâtiments, sont-ils tous des locations de bailleurs sociaux ?  

Johanne Menu : Deux des quatre centres sont locataires de locaux de propriétaires privés. Les deux autres effectivement sont logés en pied d'immeuble par un bailleur social. Il n'y a pas de volonté côté AP-HM d'acheter des locaux et être propriétaire.  

François Crémieux :  Pour l'instant la question ne s'est pas posée.  

Fabienne Orsi : Pour poursuivre sur le modèle économique, comment est financée l'activité ?  

Johanne Menu :  Pour les centres de santé, le financement repose sur l'accord national avec la CNAM. Le principe est le financement de l'activité à l'acte, et donc conformément à la nomenclature de médecine de ville. Les centres de santé sont obligatoirement en secteur 1 et tiers payant intégral.  Cela fait partie du cahier des charges des centres de santé. L'accord national prévoit également des compléments de rémunération pour des indicateurs de santé publique particuliers qui sont prévus dans cet accord national. Nous en sommes au cinquième avenant. Différents axes sont financés, portant sur des critères d'accès aux soins, du travail en équipe, du système d'information, d'inclusion des patients dans des parcours de prévention.  Chaque axe se décline, par exemple, en fonction des horaires d'ouverture, s'il y a des soins non programmés, s'il y a une fonction de coordination, s'il y a de la médiation, du nombre de femmes suivies par le centre et incluses dans le dépistage du cancer du sein, etc. La fédération nationale des centres de santé œuvre pour une meilleure prise en compte financière soit des missions historiques, soit de nouvelles missions à rémunérer.  

Fabienne Orsi : C'est un forfait ? Comment ça marche ?  

Johanne Menu :   Oui, c'est un forfait, chaque « action » vaut un nombre de points et les points sont valorisés en euros.  

Fabienne Orsi :  Le paiement à l'acte, c'est pour l'activité médicale. Quand il y a une autre activité, comme des assistantes sociales ou des psychologues, par exemple, ça marche comment en fait ?  

Johanne Menu :  Nous avions répondu à un appel à projets spécifique relayé par les ARS pour financer des psychologues en centre de santé.  Désormais, le dispositif MonPsy assure le financement de ces consultations de psychologues par l'assurance maladie. Les centres sont dorénavant rémunérés à l'acte pour cette activité-là également. Précisons que ce ne sont pas les professionnels qui sont rémunérés à l'acte, ils sont salariés. C'est le centre de santé qui est financé sur la base de l'activité de l'équipe. La pluridisciplinarité a un coût en elle-même. La rémunération spécifique de l'accord national permet de couvrir ces coûts avec certains critères justement dédiés au financement, par exemple, des réunions pluridisciplinaires, des staffs patients ou selon le simple critère de la diversité des métiers et professionnels du centre, une valorisation existe. Des critères sont aussi liés au niveau de précarité pour majorer la rémunération avec l'hypothèse logique que le nombre de patients en situation de précarité allonge, par exemple, le temps de consultation, le travail social ou de coordination et mérite donc d'être financés.  Un centre de santé de l'AP-HM, c'est environ 700 000 euros de dépenses annuelles avec les coûts salariaux, le loyer, le petit matériel, etc. La rémunération forfaitaire s'élève approximativement à 120 000 euros. Donc, le financement à l'acte représente environ 50% du budget pour le moment . Nous travaillons actuellement avec l'ARS pour prendre le virage vers le fameux dispositif SecPa (Structures d'Exercice Coordonné Participatives)  qui prévoit que dans le cas des structures qui ont une approche plutôt « communautaire » ou « participative »  de pouvoir recruter des professionnels type médiateurs en santé, des travailleurs sociaux, faire appel à de l'interprétariat.  Comme c'est déjà la philosophie et le mode de travail de nos centres de santé, il devrait être facile de s'inscrire dans ce dispositif et de conforter encore le modèle économique. 

Fabienne Orsi :  À propos justement de l'approche en santé communautaire ,comment vous positionnez-vous?  

Johanne Menu :  L'expérimentation SecPa venait d'être lancée quand nous avons transformé l'Espace santé en centre de santé, nous n'avons donc pas pu l'intégrer. Mais, à la consultation du cahier des charges, nous sommes de fait dans cette approche portée par les centres de santé « communautaire ».  

Fabienne Orsi : Concernant le nombre de personnes qui fréquentent les centres, avez-vous pu voir l'évolution ?  

Johanne Menu :  Sur les nouveaux centres, on a encore un peu de mal à savoir. Les équipes se sont fixé des objectifs inspirés de l'activité des médecins libéraux en France avec, par exemple, des files actives « médecin traitant » d'environ 1000 patients. Mais, notre enjeu est aussi de trouver nos objectifs en tenant compte, par exemple, d'un élément déterminant : le taux de précarité. Dans certains centres, on sera probablement plutôt à 800 patients par « médecin traitant » par équivalent temps-plein de médecins. Les centres proposent environ une vingtaine de consultations quotidiennes par médecin.

François Crémieux : On vise à peu près 3 temps pleins par centre, et donc ça fait à peu près de 2500 à 3000 consultations par centre. Parmi eux, l'objectif est d'environ 2500 patients qui auront le centre de santé comme « médecin traitant ». André Roussin qui existe depuis un moment dans le quartier se situe dans cet ordre de grandeur.  

Fabienne Orsi :  L'entrée, c'est vraiment le médecin traitant, donc. Étant donné la pluralité de professions dans le centre de santé, je me demandais si le modèle de soin pouvait avoir une autre entrée que celle directement médicale.

Johanne Menu : L'enjeu est clairement celui-là : ce sont des centres de santé avec la vision de prise en charge de patients, de familles même, sur le long terme et dans une approche la plus holistique possible. Ce ne sont pas des cabinets de consultations sans rendez-vous à horaires élargis... Le modèle à la fois en termes de santé publique et de financement est complètement lié à la file active de patients des médecins, même si la « porte d'entrée » n'est pas forcément le médecin, surtout maintenant avec la possibilité de mettre sur doctolib les rendez-vous, par exemple, de psychologues. Le psychologue peut être une porte d'entrée et ensuite réorienter vers la prise en charge médicale.  La sage-femme, la médiatrice qui font des ateliers dans le centre social, par exemple, peuvent aussi être la « porte d'entrée » pour venir au centre.   L'an dernier, le centre des Aygalades avait organisé une journée de prévention sur le plateau des Aygalades. Cela avait permis de « ramener » des habitants vers la santé.  Nous développons désormais de plus en plus le modèle « infirmier » avec des infirmiers dans des salles de soins qui peuvent être un premier contact, notamment sur des rendez-vous non programmés ou pour des rendez-vous intermédiaires et un suivi de traitement ou de maladie chronique.  En matière de travail social, nous n'avons actuellement pas de travailleur social, mais nous travaillons avec les autres acteurs alentour. C'est un choix.  

François Crémieux : J'ignore ce que sera l'avenir sur ce point et nous avons le même débat dans l'hôpital. Le fait d'avoir des assistants sociaux dans un centre de santé peut éloigner les personnes du droit commun.  Il existe de nombreux acteurs du travail social, très solides dans les quartiers nord de Marseille. Aux Flamants, par exemple, il y a la Maison Départementale de la Solidarité à proximité. Un des enjeux est donc de ne surtout pas déstabiliser ces structures qui travaillent remarquablement et mieux vaut s'adresser mutuellement les personnes plutôt que d'avoir une assistante sociale qui ne saura pas forcément faire mieux et prendre le risque d'un moins suivi.  

Johanne Menu :   Oui, le choix actuel est de ne pas avoir de travailleurs sociaux in-situ parce que, par exemple, avec les patients qui n'ont pas de droits, il existe la PASS de ville  comme partenaire privilégié. Les équipes s'adressent les personnes dans un sens et dans l'autre. Il y a aussi les PASS hospitalières qui peuvent parfois, selon les soins, faire le lien. Il y a ces autres acteurs du territoire comme les PMI, et donc notre volonté de ne pas nous substituer à eux et fortiori d'éviter de les déstabiliser. Le service social hospitalier est aussi sur une logique de subsidiarité avec les acteurs de ville et très au clair de jusqu'où aller en termes d'accompagnement et quand passer la main. On doit stabiliser un modèle d'articulation entre les acteurs sociaux des équipes ou établissements de soins et les acteurs du monde social.

François Crémieux :  L'idée qu'il y aurait absolument besoin d'assistance sociale dans un centre de santé parce qu'il serait dans les quartiers nord est par ailleurs un peu naïve. Il y a dans les quartiers nord beaucoup d'acteurs associatifs, institutionnels... même les OPHLM interviennent, par exemple, sur des arriérés de paiement de loyer, etc. Un des enjeux essentiels pour l'AP-HM et ses centres de santé est de ne pas déstabiliser ce qui fonctionne (très bien) dans ces quartiers. Les acteurs sont nombreux, mais ils sont tous fragiles et peuvent se faire beaucoup de mal les uns les autres avec la meilleure volonté du monde.   Nous apportons ce que nous savons faire : le soin au sens le plus large. Pas simplement du soin non programmé ou d'urgence, mais aussi de la prévention, de l'éducation, porter cette belle idée de pluridisciplinarité, travailler avec des médiateurs, des traducteurs... Nous essayons donc de faire ce qui constitue notre cœur de métier, intelligemment si j'ose dire, et donc en premier lieu en lien avec les autres acteurs déjà cités : PMI, acteurs sociaux, médecine scolaire, etc. Je pense qu'il faut faire attention, sous prétexte de bonne volonté, de ne pas déstabiliser les structures, notamment sociales ou médico-sociales qui fonctionnent bien.  

Fabienne Orsi :  Le modèle de soin dans ces centres de santé n'est pas le même que celui qu'il y a dans l'hôpital, donc en même temps que l'hôpital sort de ses murs et crée des centres de santé dans des quartiers de Marseille, il met en place un autre modèle qui est celui des centres de santé hospitaliers, une transformation s'opère : le service public qui est délivré n'est pas le même que dans les murs de l'hôpital.  On peut dire cela ?  

François Crémieux :  C'est cela.  

Fabienne Orsi : Donc j'imagine qu'il y a des discussions autour du modèle de soin en train de se mettre en place.  

François Crémieux : Un des enjeux est le fait d'être « médecin traitant » : l'hôpital n'est jamais « médecin traitant », ne suit pas les patients sur le long cours. La particularité de ces centres de santé, ce n'est pas tant ce qu'ils font, même si les équipes essayent d'être innovantes et faire évoluer le modèle, l'enjeu est que ce soit un CHU qui porte ces centres. Il fallait que la « greffe » prenne avec les équipes hospitalières et cela semble être le cas. Les équipes de ces centres de santé s'intéressent à l'hôpital et les hospitaliers aux centres de santé. D'autre part, les médecins généralistes qui travaillent dans ces centres paraissent enthousiastes. Depuis un an, ils se sont associés au comité d'éthique de l'AP-HM, intéressés par monter des projets avec le comité, travaillent à des projets de recherche en soins primaires, avec le département d'information médicale sur de la donnée de santé ou avec la PASS, la médecine d'urgence.  Nous espérons que tout cela se développe.   Cela me conduit à un autre sujet que nous n'avons pas abordé : la formation de la médecine générale. La médecine générale, disons, « canal historique » plaide très largement pour que la formation des médecins généralistes se fasse exclusivement ou principalement dans la pratique libérale. Depuis le 1er novembre 2024, une première médecin, maître de conférence universitaire – médecin généraliste, travaille dans un centre de santé rattaché à un CHU. Elle dirige le centre de santé d'Aubagne et participe par ailleurs à la coordination de la formation des médecins généralistes du département de médecine générale de la faculté des sciences médicales et paramédicales de Marseille.    

Fabienne Orsi : Nous voyons bien qu'il y a des choses qui bougent, c'est très intéressant.  

François Crémieux : Oui, ça bouge sur la formation, sur la recherche et sur le soin.  

Fabienne Orsi :   Pensez-vous que le modèle des centres de santé hospitaliers est soutenable et reproductible ?  Pourrait-on envisager qu'ils deviennent un des éléments d'une nouvelle politique publique de santé ?    

François Crémieux : Oui, à la seule condition d'une volonté politique forte. Est-ce que les hôpitaux en ont envie ? Est-ce que les territoires le souhaitent ? Est-ce que ça s'articule bien avec les libéraux ?.... Autant de questions auxquelles il faut répondre. Mais oui, je pense que les hôpitaux ont une partie de la réponse aux déserts médicaux, car, si nous en avions la mission, nous serions susceptibles de convaincre, rassurer, et donc attirer et fidéliser des professionnels. Aujourd'hui, espérer que des professionnels aillent s'installer seuls ou même en cabinet de groupe aux Aygalades ou aux Flamants n'est tout simplement pas crédible, personne ne le fait. Personne ne le fait parce que ça n'a pas de sens.  Par contre, faire partie d'une équipe de 15 personnes, pour travailler dans un quartier comme les Flamants c'est passionnant, pertinent, utile, sécurisant, etc. Donc, nous arrivons à recruter. Tout le monde nous mettait au défi de recruter des médecins généralistes pour travailler dans les centres de santé.  Aujourd'hui ce n'est plus l'inquiétude qu'on a, nous avons des candidats !    

Fabienne Orsi : Pour finir, j'aimerais savoir si le fait de vous engager activement à Marseille pour la création et la gestion de ces centres, d'en faire explicitement une politique de l'AP-HM a modifié votre perception du service public hospitalier ?  

François Crémieux :  C'est dans l'autre sens. Je mets en œuvre ma conception du service public hospitalier mais comme dans d'autres actions de ma vie quotidienne professionnelle. J'ai une certaine idée de ce qu'un service public doit être et je ne supporte pas l'idée de vivre dans une ville ou près de 400 000 habitants, sous prétexte qu'ils sont dans des quartiers pauvres, n'auraient pas le même accès que tous à la santé. J'ai la chance aujourd'hui de diriger ce grand service public hospitalier qu'est l'AP-HM et je considère donc de ma responsabilité d'essayer d'apporter des réponses. En l'occurrence, déployer ces centres de santé est la méthode choisie. Il aurait pu y en avoir d'autres mais j'espère qu'avec ce dispositif nous allons réussir à atténuer cette histoire triste des inégalités de santé dans les quartiers nord de Marseille. Nous savons tous que l'offre de soin n'est pas la seule cause et de loin pas la seule réponse aux inégalités et qu'il faut aussi lutter contre les inégalités sociales, les inégalités d'accès à l'éducation, au logement etc.  Ces déterminants-là sont même bien plus forts dans la construction des inégalités face à la santé. Néanmoins, ne pas avoir accès au soin reste un élément déterminant. Cela n'a donc pas changé ma vision du service public hospitalier mais à l'inverse, ma vision du service public hospitalier m'oblige à contribuer à ce type de réponse. C'est même la raison profonde de mon choix de faire ce métier. Nous déployons cette vision avec les équipes, ici à Marseille,  parce que c'est nécessaire.  

Johanne Menu : Travailler au développement des centres de santé de l'AP-HM a profondément changé ma vision de mon métier ! Alors que j'ai commencé ma carrière dans un hôpital parisien sur-spécialisé et dont le territoire de référence est national, voire international, j'ai recherché – en travaillant sur les centres de santé – quel était l'état de santé de la population pour laquelle nous montions les centres, et quels étaient donc leur besoin. Nous avons créé un service public de santé de proximité adapté aux besoins et aux spécificités du territoire !

Pour citer cet article : Orsi, F. 2025. À la recherche d'un autre modèle de soin-L'experience des centres de santé de l'Assistance Publique des Hôpitaux de MarseilleEntretien avec François Crémieux et Johanne Menu.  EnCommuns. Article mis en ligne le 23 juin 2025.

François Crémieux

François Crémieux, Directeur général de l'Assistance Publique des Hopitaux de Marseille

Fabienne Orsi

Fabienne Orsi, Economiste, chercheuse de l'Institut de Recherche pour le Développement, LPED-Aix Marseille Université

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