Christopher Kelty
Auteur
Dans ce texte initialement paru en 2022, l’anthropologue du numérique Christopher Kelty revient sur les transformations d’internet et ses promesses brisées. Dans un style singulier et personnel, il raconte comment les ambitions d’ouverture et d’accès à la connaissance, dont il a été à la fois témoin et acteur, ont paradoxalement nourri la clôture autoritaire de l’utopie numérique. Il révèle ainsi cet étrange retournement : comment se fait-il que l’internet que nous aurions pu avoir ait contribué à faire advenir l’internet que nous avons ?
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Broca
Il y a dix ans, j’ai commencé à écrire un livre. Il devait s’intituler Power/Sharing et s’inscrire dans le prolongement de mon précédent ouvrage Two Bits, qui avait pour sous-titre « La signification culturelle du logiciel libre ». Nous vivions alors une période agitée : le mouvement Occupy, les Indignés, les révoltes en Tunisie et en Égypte, les mobilisations contre les lois SOPA/PIPA1, le suicide d’Aaron Swartz, STUXnet2, les succès du Parti Pirate, les facéties des Anonymous, l’assurance folle de Wikileaks, les révélations d’Edward Snowden, et ce qui semblait être une suite sans fin de poursuites judiciaires, mesures de répression et arrestations liées au piratage, au hacking et à ce que nous appelions volontiers « diverses saloperies sur internet »3.
Le livre parlait principalement des activistes, des pirates et des hackers, de la centralité du droit de la propriété intellectuelle et des valeurs de liberté, d’ouverture et d’accès. Selon moi, ces valeurs étaient en train d’être redéfinies par une réalité technique, née d’un ensemble de technologies interconnectées et accessibles dans le monde entier. L’internet – le livre devait être très précis à ce sujet – n’était pas simplement un réseau, mais un assemblage de technologies et de structures politiques ayant des effets spécifiques. C’était la promesse de ce que j’appelais un « public récursif » : une tentative pour saisir comment l’internet et les logiciels libres étaient constitutifs l’un de l’autre et comment ils étaient devenus ce qu’ils étaient. Le livre devait insister sur le rôle et le potentiel des technologies et des interventions participatives, anticapitalistes et anticoloniales, sur le fait que la solution était aussi à chercher dans une reconfiguration de l’internet lui-même.
Je n’ai jamais fini le livre. Si je l’avais écrit, tel que je l’aurais écrit en 2012, il aurait rapidement été enseveli sous toutes ces choses dont il n’aurait pas parlé : les réseaux sociaux, les algorithmes, les plateformes, le big data, la blockchain, la numérisation, la vie privée, les lois antitrust, les discours de haine, la désinformation, le nationalisme blanc, l’autoritarisme et les mèmes4 de Donald Trump. Toutes ces choses ont, depuis, déferlé dans les tuyaux médiatiques et inondé le public.
N’ayant pas écrit le livre, je me considère aujourd’hui comme un anthropologue de l’Internet que nous aurions pu avoir. En 2022, bien après avoir renoncé à l’ouvrage, les questions qui y auraient figuré semblent moins importantes. Le piratage ne fait plus la une des journaux. Il a été soit éradiqué par les producteurs de contenus, soit confiné à l’underground et ainsi normalisé, comme c’était le cas dans les années 1980 lorsque « l’enregistrement privé tuait la musique ». Le piratage n’est plus une question critique, esthétique et politique, mais avant tout une question de « sécurité » et, plus encore, une profession légitime. En effet, le Département de la Justice des États-Unis a récemment annoncé qu’il n’intentera plus d’actions en justice contre les chercheurs en sécurité informatique pour violation du Computer Fraud and Abuse Act, une loi qui, à une époque antérieure, a envoyé d’innombrables hacktivistes en prison et qui, de l’avis général, a conduit au suicide d’Aaron Swartz. Quant à l’ « ouverture », elle est aujourd’hui un slogan ennuyeux autant qu’une dimension essentielle de l’économie tentaculaire des réseaux sociaux, qui ont monétisé l’engagement sur la base de logiciels libres et d’un système sophistiqué d’analyse des données et des transactions. Aujourd’hui l’« ouverture » est plus susceptible d’être vécue comme incarnant la force destructrice du management néolibéral, que comme une libération radicale de la connaissance pour le peuple. Aujourd’hui, LibGen et SciHub sont le libre accès que nous aurions pu avoir.
Je reste un expert de toutes ces choses que l’internet aurait pu être, mais cela fait de moi un universitaire doublement dépassé. En 2022, les problèmes de l’internet sont des choses dont je ne sais rien : la question persistante de la vie privée, l’opacité et l’injustice raciale des algorithmes, les dommages environnementaux du minage de bitcoins et le choc (choc, je vous dis !) de se rendre compte que la liberté d’expression absolue crée autant de haine et de violence que de liberté et d’innovation. La réglementation, telle qu’elle existe, semble se concentrer sur la protection des données et les politiques de la concurrence. Le droit et la politique de la propriété intellectuelle, bien qu’ils soient toujours au cœur de tout ce qui touche au numérique, sont redevenus un aspect ennuyeux autant qu’essentiel des activités accomplies quotidiennement au sein de cabinets d’avocats prospères.
L’internet que nous aurions pu avoir semble ne plus exister.
Quand j’ai commencé ma carrière, vers 1994, l’internet allait clairement être différent : il allait être une bibliothèque, il allait être un cerveau mondial. Ils étaient nombreux à vouloir que l’internet ressemble aux rêves de Ted Nelson ou de Douglas Engelbart, nombreux à construire le Victorian Web ou la bibliothèque numérique Perseus pour compiler d’anciens textes grecs et romains. L’internet allait faire date, comme l’imprimerie et l’invention de l’écriture ; ce serait la fin du livre, comme l’annonçaient paradoxalement avec enthousiasme de nombreux livres. Dans les années 1990, nous expliquions encore que l’internet avait été un projet militaire géré par l’ARPA5, mais que maintenant que la National Science Foundation était aux commandes, ce serait plutôt l’aboutissement du Memex imaginé par Vannevar Bush, une mise en ordre du savoir mondial permettant à tous d’y accéder et d’y naviguer, comme un vaste palais de la mémoire. Ou bien nous parlions, dans les MOO et les MUD6, de reconstruire une société sans injustice, sans racisme, sans viol et sans gouvernement autoritaire. À la base de tout cela, une multitude de technologies différentes, des communautés d’amateurs, d’universitaires, de geeks aimant les jeux de rôle, de joueurs et d’étudiants étaient en train de câbler Internet, de résoudre ses problèmes, de comprendre ses lois et ses idéologies, d’essayer de le rendre meilleur – beaucoup l’espéraient –que ce qu’il remplacerait.
Puis, assez soudainement, Al Gore a inventé l’internet. Les partisans enthousiastes du cerveau mondial se retrouvèrent alors à vivre dans l’ère de la stupidité de masse : le boom des dotcoms de 1996 à 2000. L’Internet serait désormais une blague douteuse : des noms de domaine comme beer.com se vendaient pour des millions de dollars, des projets ridicules vantant des sites Web qui ne faisaient rien d’autre que faire des listes d’autres sites Web rivalisaient pour obtenir de gros financements de la part de sociétés de capital-risque ; AOL acheta Time-Warner, la plus ancienne société de médias aux États-Unis, alors qu’AOL elle-même n’était qu’une plaisanterie, même pour les personnes qui prenaient l’internet au sérieux.
Le boom des dotcoms s’arrêta brutalement en 2000-2001, puis fut éclipsé par les attentats du 11 septembre. Mais cette distorsion rapide de la structure de l’internet eut un effet durable : l’internet que nous aurions pu avoir se donna un nouvel objectif. L’internet que nous aurions pu avoir n’était plus seulement un cerveau mondial, mais une nouvelle économie. Il allait bouleverser les marchés défectueux d’antan, mettre de l’huile partout, que cela soit nécessaire ou pas ; tout un monde serait désormais bien huilé pour des raisons que personne ne pouvait vraiment expliquer. Tant que votre business plan contenait du lubrifiant Internet, le marché était conclu.
Mais même cet enthousiasme capitaliste était tempéré par les nombreuses choses que l’internet aurait encore pu être. Même recouvert de lubrifiant, il restait un support artistique, une intelligence distribuée, un jeu multijoueur ; il rebattait les cartes et détruisait les anciennes idoles, qu’il s’agisse du marché, de l’université ou du gouvernement. L’internet que nous aurions pu avoir était un refuge pour les hackers et les activistes, les juristes et les anthropologues (numériques), les artistes du Net et les pirates de la musique, les critiques culturels et les journalistes, les créateurs de mèmes et les Anonymous.
Puis l’internet que nous aurions pu avoir est devenu l’internet que nous avons.
Cela s’est produit à peu près au moment où j’aurais écrit ce livre. En 2013, les révélations de Snowden ont fait passer l’internet d’un rêve utopique que personne ne prenait vraiment au sérieux à une réalité dystopique que tout le monde prenait très au sérieux. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain : cela a nécessité des smartphones dans toutes les poches, une guerre épuisante contre le terrorisme et une crise financière épique, mais c’était tout de même un moment de transition. L’internet était-il à l’origine de ces événements ? Probablement pas, même s’il est difficile de dissocier l’essor du trading haute fréquence de la crise financière, la disponibilité d’outils de communication ouverts et sécurisés d’Occupy et du Printemps arabe, le pouvoir de surveillance totale de la NSA de la guerre contre le terrorisme. L’internet que nous aurions pu avoir, comme l’internet que nous avons, ne sont jamais qu’une chose à la fois.
Ce changement ne fut pas immédiat : le bouleversement commença lentement, personne ne parla du « techlash » avant 2018, et malgré la crise financière, la dernière décennie a vu l’équivalent de 10 000 booms des dotcoms, une bulle apparemment sans fin qui fait paraître la première bulle minuscule par comparaison et a amené l’internet dans les grille-pains, les brosses à dents, les sonnettes et d’autres choses encore bien plus ridicules que beer.com. Sauf que maintenant, tout cela s’accompagne, comme dirait Eben Moglen, d’un « espionnage gratuit »7 ; ce à quoi il faut ajouter le profilage racial, les discours de haine, la désinformation, le piratage du réseau électrique, une crise touchant la substance même de la réalité, tout cela gratuitement.
L’internet que nous aurions pu avoir est, techniquement parlant, toujours celui que nous avons. Quiconque passe du temps à configurer et à déployer des serveurs ou des applications Web, à se débattre avec le DNS ou à se plonger dans les protocoles et les RFC, constate que les technologies de base ont en fait remarquablement peu changé. Linux et Apache ont maintenant 30 ans ; les protocoles de base de l’internet en ont près de 50. Tous les nouveaux frameworks à la mode qui apparaissent chaque mois s’appuient sur ces technologies plus anciennes. L’internet fonctionne comme il l’a toujours fait, échoue de la même manière et permet, comme il l’a toujours permis, des formes complexes mais limitées de développement.
L’internet que nous aurions pu avoir n’est pas une réalité technique et il ne peut donc pas être réparé techniquement. Il s’agit d’une configuration8. Les configurations sont des formes et des histoires reconnaissables, des modulations et des mises à jour de formes et d’histoires plus anciennes. L’internet n’est pas une technologie mais plutôt une représentation de manières d’être en relation les uns avec les autres dans le monde moderne, une représentation qui permet de reconnaître et résoudre les problèmes, une représentation qu’il faut s’efforcer de faire advenir. C’est une manière de dire à quoi une chose ressemble et un guide pour ce qu’elle pourrait ou devrait devenir. Il ne s’agit pas d’un récit, d’une description, d’un schéma ou d’un plan (mais avec mes excuses à Elias, il pourrait s’agir d’une méthode).
L’internet que nous aurions pu avoir était considéré comme un élément dans une histoire de progrès, comme une forme d’émancipation, comme l’ultime moyen de garantir la force de la loi plutôt que le droit du plus fort, comme une puissance permettant de rendre la connaissance disponible partout. Parmi d’autres métaphores, l’internet était la marée qui mettait tous les bateaux à flot.
Faire émerger une configuration nécessite parfois du travail. Ce n’est pas une histoire racontée par une seule personne, ni même par un groupe de personnes. C’est la rencontre d’un travail culturel, technique et juridique. L’internet que nous aurions pu avoir était configuré avant tout comme un problème de droits de propriété intellectuelle, d’efficacité de l’information et de créativité. Par conséquent, beaucoup d’énergie fut dépensé pour des propositions et des débats, des produits et des solutions qui présentaient Internet comme étant d’intérêt public, comme permettant l’accès à la connaissance, l’entrée des sciences et de la culture dans le domaine public, le dépassement des fractures numériques ; en plus d’être un outil sans précédent pour réduire les coûts de transaction, faciliter l’attribution efficace des droits et accélérer l’innovation afin de stimuler la croissance économique. J’ai participé à cette configuration, à ma manière, directement et indirectement ; j’ai aidé à rédiger les premières licences Creative Commons, écrit un livre sur le logiciel libre, fait adopter des politiques de libre accès dans mon université, protesté, participé, observé, etc.
Une telle configuration n’est jamais univoque ou simple à faire émerger. Il y avait de nombreux camps et arguments. Il était important de savoir quels arguments allaient triompher, quelles lois seraient votées et quelles technologies seraient financées, améliorées et adoptées. Certains voulaient à tout prix la « neutralité du net » et faisait de cette dernière la valeur humaine fondamentale d’internet ; certains ne voulaient surtout pas que l’Internet que nous aurions pu avoir ressemble à ce qu’il remplaçait : blanc, masculin, odieux, excluant, sexuellement agressif ou répressif. Tout le monde ne souhaitait pas que l’Ancienne Économie et ses Enclosures soit remplacée par une Nouvelle Économie et ses Creative Commons – certains pensaient que cela n’allait pas assez loin. Mais ce mélange désordonné de concurrence et de collaboration était cohérent (un peu comme dans l’idée de « science normale » chez Kuhn), les questionnements et les problèmes étaient clairs parce que la base n’était pas remise en question ; en conséquence de quoi, un système complexe fut construit à partir d’une configuration de base, celle que dessinait l’internet que nous aurions pu avoir.
Du fait de tout ce travail passé, l’internet que nous aurions pu avoir n’a pas vraiment disparu. Il est toujours là. Les lois et les politiques, une fois mises en place, subsistent jusqu’à ce qu’elles soient défaites. Les technologies, une fois adoptées, se sédimentent pour former des couches récursives de dépendances, d’attentes et d’habitudes chez les utilisateurs. L’internet que nous aurions pu avoir est désormais un assemblage de réflexions légales, sociales et politiques, de justifications, de précédents juridiques, de nouveaux arrangements en matière de propriété et de dépendances techniques dans lesquels nous naviguons quotidiennement. Mais il s’agit d’un assemblage conçu pour un internet qui n’est plus le nôtre.
L’internet que nous avons est configuré de manière très différente. Il est configuré comme un outil de domination politique. C’est l’apothéose des formes de domination dissimulées dans les histoires de progrès et de libération. C’est le capitalisme, le colonialisme, l’impérialisme, l’esclavage et la destruction de l’environnement réunis en une hydre hideuse, dont les têtes sont Zuckerberg, Bezos, Pichai et Cook, Musk et Thiel étant plus proches du trou du cul. Dans un article d’opinion paru dans le New York Times en 2022, Ben Tarnoff, « travailleur de la Tech, écrivain et co-éditeur de Logic Magazine », présente clairement l’internet non pas comme une intelligence distribuée ou un terrain de jeu équitable, mais comme une forme de domination politique par le monde des affaires :
Certains affirment que la connectivité [permise par Internet] ne rend pas seulement le monde plus petit, mais qu’elle le rend pire qu’avant. Ils s’inquiètent de la désinformation, de la surveillance, de l’invasion de notre vie privée, de l’exploitation des travailleurs basés sur les applications et de la prolifération de la propagande de droite sur les réseaux sociaux, pour ne donner que quelques exemples. […] La racine [du problème] est simple : L’internet est cassé parce qu’il est marchand. […] Même avec les meilleures réglementations et politiques antitrust, les entreprises continueraient à posséder l’internet. Des décisions extrêmement importantes seraient laissées aux mains des dirigeants et des investisseurs. La plupart des gens n’auraient pas leur mot à dire sur des questions qui affectent leur vie de manière centrale.
Comme beaucoup d’autres, Tarnoff considère que l’internet que nous avons est cassé. Il n’est pas cassé au sens où il faudrait le réparer d’un point de vue technique, mais au sens où ses promesses sont brisées. Quelles étaient ces promesses ? Qui les a faites ? Qui les a trahies ? Tarnoff ne le dit pas, mais il propose une vision alternative : changer la structure de propriété de l’internet pour privilégier un internet local : géré et gouverné de manière communautaire, basé sur des principes de démocratie radicale, des coopératives, des formes d’aide mutuelle ; du coopérativisme de plateforme, de la démocratie pair-à-pair, etc.
Mais attendez une minute, c’est l’internet que nous aurions pu avoir ! Pourquoi se retrouve-t-il maintenant projeté dans l’avenir ? Cela signifie-t-il que le rêve est toujours vivant ? C’est l’internet que j’ai embrassé autrefois. Peut-être la réponse est-elle donc au coin de la rue, dans un hackerspace géré collectivement par des geeks créant des DAO9, minant des Ethereum, et qui tiendront enfin leurs promesses ! Cela pourrait être le retour du « public récursif » : des collectifs qui s’engagent à maintenir techniquement et pratiquement les formes d’association et d’échange qui produisent les communautés qu’ils apprécient tant ! Mes points d’exclamation vous indiquent peut-être que je ne suis pas vraiment emballé.
Pourquoi ? Je me pose souvent la question, chaque fois qu’on me demande d’évaluer un article sur des collectifs de développeurs, des hackerspaces, la gouvernance des plateformes ou l’état actuel du logiciel libre. Je peux partager l’espoir ou l’enthousiasme, mais j’ai l’impression que ces idées sont désormais inadaptées à l’internet que nous avons. C’étaient des solutions prometteuses pour les problèmes auxquels était confronté l’internet que nous aurions pu avoir, mais maintenant ce ne sont que des tics et des gesticulations. C’est le genre de choses que j’associe aux personnes qui, dans les « espaces d’expression libre » de mon université, me donnent avec colère des tracts photocopiés.
Ce qui est encore plus étrange, et plus difficile à expliquer, c’est que l’internet que nous avons a été produit par l’internet que nous aurions pu avoir. Certains aspects de la configuration caractéristique de l’internet que nous aurions pu avoir se sont révélés être des moteurs de la domination politique. La liberté d’expression par exemple, du moins dans sa version absolutiste. L’ouverture par exemple, du moins dans sa version néolibérale. Les hackerspaces par exemple, du moins dans la version privilégiée par les élites masculines de la Tech. La participation par exemple, du moins dans la version qui sert à maximiser les revenus publicitaires.
Quelles sont ces versions qui constituent aujourd’hui l’internet que nous avons ? Peut-on les cerner ? S’agit-il simplement de promesses non tenues ou ces idées sont-elles fondamentalement erronées ? Si nous demandons aujourd’hui plus d’ouverture, de liberté, de participation, d’action collective, de communs ou de communauté, cela ne signifie-t-il pas que nous risquons d’obtenir davantage de ce que nous avons déjà récolté ? Plus de l’internet que nous avons et moins de l’internet que nous aurions pu avoir ?
Je ne suis pas sûr que nous comprenions comment nous avons perdu ce que nous aurions pu avoir. S’il y a du travail à faire pour comprendre l’internet qui est le nôtre, c’est peut-être par là qu’il faut commencer. Comment, exactement, l’Internet que nous aurions pu avoir nous a-t-il été pris ? Le capitalisme ne l’a pas cassé ; le capital ne fait pas de promesses. Quelque chose d’autre a brisé l’internet que nous aurions pu avoir, le capitalisme s’est simplement nourri de sa carcasse. Pouvons-nous découvrir ce que c’est ?
Pour citer cet article : Kelty, C. 2024. L'Internet que nous aurions pu avoir. EnCommuns. Article mis en ligne le 22 mai. https://www.encommuns.net/articles/2024-05-22-linternet-que-nous-aurions-pu-avoir/
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